"Cérémonial prévu par les Conseillers pour la construction du tombeau et l'attribution du nom posthume Kyōng Hye à la Princesse In Bin" : tel est le sujet du manuscrit coréen enregistré sous la cote 2424 à la Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits. Bien sûr, il est beaucoup plus important pour la Corée pour nous. D'ailleurs, c'est un chercheuse coréenne qui en 1975 a découvert dans le fonds de la BNF ces manuscrits oubliés par tous, considérés comme perdus depuis 1866. Cette année-là, des militaires français avaient "saisi" (après en avoir brulé 5.000 !, selon un article Courrier International) 350 manuscrits dans la bibliothèque royale Oegyujanggak de l’île de Kangwha, à l’ouest de Séoul, en représailles à l'exécution d'un prêtre français. Je note que cette affaire s'est donc passé juste six ans après le pillage de Palais d'Eté des empereurs de Chine par les troupes françaises (et britanniques), qui a déclenché l'arrivée de trésors historiques dans notre pays, au grand dam actuel des chinois, comme l'a rappelé dans la Gazette la vente de deux tête de bronze du zodiac . Bref, les Coréens ont protesté, une ONG coréenne a fait un procès, elle a été fort logiquement déboutée, car le pillage est antérieur à 1970 date prévue par la Convention de l'UNESCO sur les oeuvres d'art.
Puis la France a utilisé les manuscrits comme appât pour signer des contrats, notamment la vente de TGV. Et Nicolas Sarkozy à Séoul vient d'annoncer que les manuscrits seront confiés pour une période de cinq ans renouvelable les 297 manuscrits à la Corée. Au nom du principe d'inéliabilité du patrimoine de l'Etat, ces oeuvres resteront propriété de l'Etat français. Ce qui semble sur le plan diplomatique une solution pragmatique, voire sage.
L'affaire suscite cependant deux questions : la France n'ouvre-t'elle pas là la boîte de Pandore, car une part importante des antiquités asiatiques ou africaines des musées occidentaux y sont arrivés ou moins de la même manière au cours des siècles ; donc pourquoi limiter les "restitutions" à ces manuscrits ? Un précédent est créé.
Par ailleurs, selon l'Agence coréenne du Patrimoine Culturel, il y aurait actuellement environ 76.143 biens culturels nationaux conservés hors de Corée dans 20 pays... Dont 2121 en France, qui en rend donc 297.
Mais il y en a surtout 34 369 au Japon, qui a pratiqué un pillage systématique des pays envahi pendant la seconde guerre mondiale... L'affaire met donc la pression sur Tokyo, qui n'a jamais été exemplaire lorsqu'il s'agit d'assumer son passé militariste...

A voir sur Bibliofrance un excellente synthèse de l'affaire : les manuscrits de la discorde